Je crie ton nom, agrippé au bastingage du ferry qui m’éloigne lentement de tes rives rocailleuses. Des passagers incrédules ou amusés me dévisagent, ne sachant trop si le fort Libecciu qui balaie le pont me monte à la tête. Île de mon cœur, ce n’est pas un adieu, seulement un au revoir. Tu m’as recueilli comme ton enfant et tu m’as permis de déployer mes racines, moi, le fils de nulle part. J’emporte dans ma valise pour le continent mille et un visages et autant d’histoires de ce pays, femmes et hommes fiers de leur terre insulaire. Il y a ceux qui se sont promis amour toujours et ceux qui luttent avec rage. Il y a celui dont les cendres reposent dans des eaux paisibles où toujours nous nous baignerons. Il y a celle qui pleure en silence sous la grande voûte étoilée. Il y a celui qui prend une vie au maquis en échange d’une offrande. Et il y a celle qui déchiffre les mystères de l’univers dans une goutte d’huile d’olive.
Ici ou ailleurs, comment embrassons-nous un lieu qu’on aime ?
Tu n’es déjà plus qu’une ligne de vie posée sur l’horizon, et tes chants mélancoliques vibrent au creux de mes oreilles. La houle me ballotte de souvenirs en souvenirs,
teintés de l’ocre des montagnes et de l’azur pur. Dans la solitude de l’hiver, je roule sans but en suivant les lacets de la féerique vallée d’Orezza. Les châtaignes pleuvent et finissent leur course dans un grand fracas sur le toit. Toujours ce rituel, je m’arrête à Moriani saluer le triste mémorial de Pasquale Paoli, dos à la mer. Je suis perdu sur un chemin du Punta di u Furneddu, et je voudrais y passer la nuit, caché dans les bras du maquis. Tout ce temps, j’ai cherché des traces le long de tes chemins dans l’espoir de n’être plus qu’une pierre parmi les vestiges. J’ai scruté tes paysages, je me suis abreuvé à tes sources, j’ai dansé dans tes villages. Et maintenant que tu m’as vu naître à moi-même, je vais poursuivre mes errances. Toujours en mouvement, je pars mais pour mieux revenir.