"Des baraques dans un bois et la peur de l'expulsion au quotidien"
Une quinzaine de familles roms vivent dans l’un des six bidonvilles de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), sans pouvoir scolariser leurs enfants.
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Alors, même s’il faut aller chercher l’eau à un quart d’heure de marche, frotter à la brosse dans une bassine posée au sol, Doïna ne rechigne jamais. Cela ne viendrait même pas à l’esprit à cette quinquagénaire qui, du plus loin qu’elle se souvienne, n’a connu que le labeur. « La terre, la culture, les enfants en Roumanie. Ici les poubelles. » Ses doigts gonflés racontent sa vie mieux que ses mots.
Stefan a lui aussi la main large du travailleur et l’ongle noirci par les centaines de poubelles fouillées chaque jour, de sacs palpés, éventrés ; des chariots à roulettes bondés traînés depuis l’autre bout de la banlieue. « Samedi, Barbès ; dimanche, Montreuil ; lundi, Clignancourt… » Sa tournée est rodée, méthodique. De 7 heures à 18 ou 19 heures, il fouine, en quête de tout ce qui se revend. Lui et les siens sont plutôt textile, sacs, chaussures ou fils électriques à dénuder le soir autour du feu du campement. Le cuivre est un marché intéressant, certes, mais la concurrence est rude. Ainsi va la vie du couple et d’une cinquantaine de Roms roumains installés dans l’un des six bidonvilles de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne).
Dans la cabane de Stefan et de Doïna, des petits tas attendent l’heure du tri. Mais l’œil ne s’y attarde guère, vite attiré par une étagère de fortune recouverte de plusieurs napperons avec dessus ces petits riens qui égayent « la baraque », selon l’appellation donnée à leur cabane par les Roms d’ici.
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Sous le vernis festif suinte une grande misère. Une précarité extrême que ce groupe de Roms venus du sud de la Roumanie a habillée d’une esthétique un instant trompeuse. Margaretta est cardiaque. Elle a peur de mourir, comme son père, dans la fleur de l’âge et n’a rien de plus précieux qu’un sac plastique bourré de médicaments, pendu à un crochet. Un trésor qu’elle surveille même en cuisinant, l’autre œil sur la photo de Jésus.
Dans la cabane voisine, Maria aussi a son sac à pharmacie, « pour la bronchiolite d’Anna », dit-elle, en montrant la Ventoline et les joues fiévreuses de sa petite dernière. En cas d’expulsion par la police, ces sacs-là, comme les papiers, sont les plus importants à sauver. Mais parfois la police ne veut rien entendre. C’est déjà arrivé aux deux mères.
Alors Maria et Margaretta se tiennent prêtes. Après respectivement neuf et six ans de présence en France, aucune des deux ne peut dire combien de fois elle a été expulsée, un « oh là, beaucoup, beaucoup » que François Loret, militant du collectif Romeurope, traduit en statistiques.
Même Vassil, son petit frère, a développé une stratégie de résistance. Quand il va à l’école, il y laisse son cartable et ses cahiers. « Une fois, les policiers ont cassé toutes mes affaires… J’étais petit, mais je me rappelle », observe le gamin, dont les 11 printemps ont presque fait de lui un adulte. Pour le collège, il attend. « J’aimerais y aller, la maîtresse a dit que je pouvais, mais je sais pas, moi », observe-t-il, un peu perdu tout à coup. Sa mère, qui entend, prend un air suppliant : « S’il vous plaît, école… Ecole pour mes enfants. »
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Pour pallier ce manque, une association, Scolarom, travaille sur les bidonvilles du secteur. Hier subventionnée par le conseil régional d’Ile-de-France pour assurer une préparation des enfants à l’école, à la culture écrite, elle a vu ses fonds coupés par la majorité Les Républicains, sous les applaudissements du Front national. Pourtant, Andrea, 6 ans, jamais scolarisée encore, aurait aimé découvrir ce nouveau monde dont les plus grands disent tant de bien ; un univers « où on lit et on écrit », résume Vassil. Un monde qui seul pourrait sortir Nikola, Dino ou Denissa de la spirale de la misère.
Stefan, lui, a laissé ses enfants en Roumanie : « Je suis venu pour payer leur école là-bas, préparer leur avenir », résume celui qui pensait travailler dans le bâtiment. Après avoir eux-mêmes perdu leur demeure roumaine à cause d’inondations, Maria et Constantin aimeraient bien que leurs enfants puissent posséder un jour une vraie maison. D’ailleurs Vassil rêve en silence de devenir maçon, lui qui dit n’être jamais entré dans la maison d’un copain et ajoute, interrogatif : « C’est comment dedans en France ? Dehors, je sais, j’ai regardé les maçons construire. »
Pour l’heure, le gamin aide chaque jour sa mère à ravitailler en eau le bidonville, à quinze minutes. « Des gens des commerces nous laissent remplir et on rapporte à vélo, dans les poussettes ou les chariots à roulettes de courses », raconte Vassil qui enchaîne ensuite avec le ramassage du bois mort pour le feu.
Texte par Maryline Baumard - Le Monde